Introduction

Le parc Palmer est un parc public situé à Cenon, en bordure de coteau. Il est constitué par la réunion de trois anciennes propriétés, Palmer, Tranchère et Lestrille, aux environs de 1965. Il s'étend sur près de 25 hectares, du pied au sommet des coteaux. Son dénivelé de 40 mètres et sa position en balcon sur la Garonne en font un lieu privilégié offrant des points de vue sur le fleuve et la rive gauche de l'agglomération bordelaise. Aujourd'hui, Palmer est l'un des éléments forts du Parc des coteaux, réunion de l'ensemble des parcs publics qui bordent le coteau, de Bassens à Floirac. Il héberge sur ses abords de nombreux équipements sportifs (terrains de football, rugby, tennis, dojo et piste d'athlétisme) ainsi que le Rocher de Palmer, dont les bureaux administratifs sont installés dans les anciens communs de la propriété principale.

En 1990, la Ville de Cenon, désireuse de réaménager l'accès au Parc palmer après la démolition de trois des quatre tours dites « Palmer », a commandé une étude à un groupement d'architectes et de paysagistes. Jean-Pierre Bériac, historien du paysage, a, à cette occasion, produit ce texte qui présente la genèse du parc cenonnais tel que nous le connaissons aujourd'hui.


Palmer carte Belleyme


Eléments d'une histoire

L'inspecteur général des Ponts-et-Chaussées, Claude Deschamps, dessine vers 1820, le tracé de la route de Bordeaux à Libourne. Il glisse cette nouvelle voie dans le profond talweg qui passe au pied du domaine de Palmer. Cette étude de tracé de route nous vaut la production d'une carte restituant le paysage d'une bonne partie de la commune de Cenon. Les trois propriétés qui forment aujourd'hui le parc de Palmer y figurent nettement : Palmer, Tranchère et Lestrille.


Palmer, probablement du nom du major anglais qui vint se ruiner en Bordelais, apparaît comme le domaine le plus riche par son ampleur et la variété de ses éléments constituants. Les deux autres propriétés semblent relativement modestes. Lestrille dispose, pour tout jardin, d'un important potager ; Tranchère n'est alors qu'une simple bâtisse entourée de vignes. En fait, tout ce passage s'avère dominé par le vignoble, aussi bien sur le plateau que dans le palu, seules les pentes les plus abruptes du côteau sont couvertes de bois. Les labours et prairies n'occupent que des surfaces restreintes. De ces trois propriétés, seule Palmer se voit dotée, à proximité de la maison de maître , de larges espaces fortement structurés. Entre le chemin public et l'habitation se remarque une perspective, la pénétration du regard est calée par deux corps de communs. Au sud s'étend un vaste potager quadripartite. Plus loin, toujours au sud, nous trouvons une vaste structure parcourue d'allées rectilignes se coupant approximativement à angles droits ; elle combine deux carrés consacrés, l'un à la prairie, l'autre à un labour, quatre autres constituent une extension du bois qui colonise la pente du côteau. Ici, comme dans de très nombreuses propriétés, agréments et terres d'utilité se trouvent intimement imbriqués. La demeure que nous connaissons semble déjà exister. Elle est certainement toute neuve alors, et si son esthétique correspond aux canons de la mode du temps, avec son délicieux proche à colonnes qui s'ouvre sur le grand paysage de la vallées de la Garonne et de la ville de Bordeaux, l'organisation de ses « beaux dehors » dans une sage orthogonalité, témoigne d'une grande fidélité aux schémas de l'âge classique. L'examen de la carte de Belleyme, établie dans les années 1780, au lieu-dit Thibaudin, l'ancien nom de Palmer, ne signale qu'un chef de domaine ne disposant d'aucun jardin. Ces « beaux dehors » ne sont donc pas les vestiges d'une installation antérieure, mais contemporains de la nouvelle construction. Dans les années 1820, alors que se développe rapidement, même en Bordelais, l'amour pour les parcs paysagers ou à l'anglaise, ils doivent passer pour archaïques et franchement démodés ; mais ils sont loin d'être les seuls dans ce cas.


Un second plan, datant du début de ce siècle, bien que moins précis que celui des années 1820, se révèle précieux pour l'histoire du paysage de la commune de Cenon. Il s'agit d'une carte de Bordeaux et de sa banlieue établie vers 1905. Nos trois propriétés s'y distinguent parfaitement, et malgré quelques variations de convention graphique, ont lit très bien permanences et différences de ce paysage, près d'un siècle plus tard.Palmer semble garder son même visage. On y retrouve exactement les mêmes implantations d'édifices, mais aussi le même parcellaire. La vieille construction paysagère orthogonale s'y affirme toujours, pourtant une différence considérable s'y est introduite : toute la partie ouest du plateau se trouve désignée sous le nom de « Bois de Bellevue ». Une importante pièce de vigne a cédé la place à un parc d'agrément. Le statut de la propriété a changé. Au début du XIXe sicècle, Palmer pouvait être tenu autant pour une maison de plaisance que pour un petit domaine de rapport. Au début de ce [XXe] siècle, il est essentiellement maison de plaisance, brillante résidence secondaire. Un plan édité en 1957 par le Ministère de la reconstruction et de l'urbanisme, établi d'après le cadastre et des vues aériennes, nous montre une vaste prairie occupant toute l'avancée du plateau et une partie du talweg, animée seulement de quelques bouquets d'arbres, dont le gros bouquet de cèdres. Une longue allée serpentait sous les arbres en suivant la ligne du plateau. Un belvédère, dont subsistent quelques éléments de fondation, était installé à la pointe extrême de celui-ci. Les bois occupaient l'ensemble des pentes, des allées secondaires se perdaient sous leur couvert. L'une d'elles aboutissait à un portail sur la voie publique, à mi pente du côteau. Deux piles en forme de cippes en portent encore témoignage.


Depuis l'ouverture du Pont de Pierre à la circulation, en 1822, les riches bourgeois bordelais, avides de « campagnes », investirent toute la rive droite de la Garonne, et l'on vit s'élever, tout particulièrement à partir des années 1840, toute une chaîne de somptueuses résidences entourées de parcs, de Sainte-Eulalie à Bouliac. On affectionne alors particulièrement les sites spectaculaires, les vues imprenables, et le sommet des coteaux, avec ses brusques mouvements de terrain, offre sous ce rapport des situations idéales. Nous citerons Belleassise à Sainte-Eulalie, les Lauriers à Lormont, le Moine à Cenon ; toutes datent de cette période. Des demeures plus anciennes sont réaménagées comme Sybirol , Bel-Sito et la Cruz à Floirac. Ce mouvement dura jusque dans l'entre-deux-guerres. L'aménagement du petit parc de Camparian, dessiné par Ferdinand Duprat, date de 1927 !


La plupart de ces parcs du milieu du XIXe siècle sont dessinés par le paysagiste et pépiniériste bordelais Louis Bernard Fischer (1810 – 1873). On retrouve sa signature à l'abbaye de Bonlieu, aux Lauriers, à Sybirol... Partout où nous trouvons son nom, on remarque qu'il a peu recours aux édifices décoratifs. Les « événements » des ses parcs sont essentiellement végétaux. Il respecte aussi les traces du passé et les exploite dans ses aménagements comme à Sybirol, où il maintient la vieille allée de charmes, conserve à leur place verger et potager, et orne de masses de lauriers la salle fraîche et son bassin du XVIIIe siècle. Au château des Carmes, à Mérignac, il crée toute une mise en scène, composée d'une large allée de platanes, pour la fontaine du XVIIe siècle. Les tracés de ses allées sont toujours amples, mais davantage dus aux caprices du terrain, aux scène végétales, qu'à la volonté de dessiner de belles courbes. Il affectionne aussi la variété végétale et joue énormément sur toute la gamme de nuances de verts et de bleus que peuvent offrir tout particulièrement les conifères, comme en témoignent les créations de château Filhot et du château de Roquetaillade (pour ce qu'il y subsiste de son œuvre). En résumé, il ne serait pas absurde que son nom soit associé à celui de Palmer (ou celui de son élève et successeur Jean Alphonse Escarpit).

Palmer Allee centrale

Les propriétés de Tranchère et de Lestrille paraissent plus ternes à côté de Palmer. Sur la carte de Belleyme, le nom de « l'Etrille » apparaît. Tranchère s'appelle alors « Formaire ». Lestrille, petite propriété viticole au début du XIXe siècle garde toujours la même vocation un siècle plus tard. Elle succomba sous la poussée urbaine. Tranchère, du nom d'une famille de notables bordelais, pour sa part connaît d'importantes mutations. Là aussi nous n'avons qu'une banale exploitation viticole vers 1820. A la fin du XIXe siècle, elle se donne des allures bourgeoises. On reconstruit la maison qui se voit agrémentée d'un petit jardin clos de grilles. L'allée d'accès longe un important potager. Son talweg, longtemps occupé par des vignes, se couvre d'un bois sans aménagement particulier, peut-être à la suite de crise du phylloxera qui détruisit quantité de vignes en Bordelais. Lors de la construction du vignoble, certains territoires furent définitivement abandonnés, et tout particulièrement ceux situés en bordure de côteaux sur des terrains trop difficiles, et la où la vigne n'offrait qu'une trop faible rentabilité.


Ces trois propriétés acquises par la commune, forment aujourd'hui une seule entité, même si l'on remarque toujours une rupture entre Palmer et Tranchère. Lestrille s'est totalement dissout sous le couvert boisé et de nouveaux aménagements urbains.


Avec l'urbanisation intense et brutale de la commune dans les années 1965, la municipalité dut faire face à d'importantes demandes d'équipements sportifs. Palmer constituait un espace parfaitement inscrit au cœur de la nouvelle ville. Terrain de rugby, courts et hangar de tennis, aure de jeux pour enfants, investirent les quelques surfaces planes du territoire immédiatement exploitables.


Palmer depuis le Rocher

En 1985, encore, dans les demandes de subventions, l'expression de « plateau d'évolution sportive » est substituée au terme de « parc ». Elle est significative des préoccupations de la municipalité et peut-être davantage des demandes de la population. La réapparition du terme de « parc » se lira donc comme une évolution des mentalités envers un patrimoine végétal aujourd'hui [en 1990] fortement menacé.


Les profondes mutations subies par ce lieu, l'adjonction de nouveau espaces qui créent de nouveaux cheminements, de nouvelles logiques, le passage du parc privé au cœur d'un domaine agricole à un espace public au centre d'une zone à forte densité d'habitants, l'absence totale de témoignages précis du l'organisation ancienne de ce parc... Tous ces éléments rendent totalement illusoire une tentative de restitution. Il n'en demeure pas moins que nous disposons d'un édifice à l'architecture élégante, témoin d'un moment de notre culture, de beaux arbres dont la disposition ne doit rien au hasard, d'un site choisi très tôt pour ses belles qualités, qui créent des obligations tout à la fois aux responsables municipaux et aux concepteurs qui sont amenés à intervenir sur le parc de Palmer et sur ses abords.


Jean-Pierre Bériac


Palmer le pin mort


En famille  Palmer 1964
En famille à Palmer, en 1963, devant le château encore doté de son ancien toit.
(archives personnelles d'un contributeur sur Facebook)