Pourquoi une anthropologue dans ce projet ? 

Pascale Binant a participé activement à la phase de rencontre avec les habitants, pendant deux mois elle s'est entretenue avec eux. Elle questionne l'art et le rapport que les individus ont avec celui-ci et notamment avec l'artiste.

Elle explicite la raison de sa présence dans une note d'intention :

     "Une « artisterie » : ce serait quoi ? Il ne s’agit pas simplement d’installer un artiste dans ce qui serait un atelier, il s’agit de faire lien avec les habitants du quartier pour que le lieu, l’artiste et son art s’inscrivent, dans la dynamique de vie locale. Il s’agit que l’ « artisterie », où l’artiste fera son art, soit un lieu de production, de rencontre, voire de collaboration.
     Comme tout nouveau venu, l’artiste devra trouver sa place. Là où les produits de première nécessité n’ont plus la leur quelle sera celle de l’art et de l’artiste ? Ouvrir un lieu à la pratique artistique convoque les questions de relations à l’art de tous, individuellement et collectivement. Les questions se bousculent et beaucoup me viennent des réflexions de Pierre Bourdieu à ce sujet :
     « Y a-t- il une différence entre un artiste et un citoyen ordinaire ? » «  Pourquoi et comment devient-on artiste ? » « Y a-t- il une efficacité de l’artiste ? » « L’artiste peut-il avoir un rôle politique ? » « Qu’est-ce qui fait l’artiste ? » (Penser l’art à l’école, Arles, Actes Sud/Ecole supérieure des Beaux-arts de Nîmes, 2001)

     Enfin, la question incontournable : «  Que signifie l’art ? », à laquelle selon Jacques Maquet « […] on obtiendrait des réponses personnelles et beaucoup de “Je ne sais pas…” » (L’Anthropologue et l’esthétique, Chap. 1 : L’art dans la réalité quotidienne, Paris, ed. Métaillé, 1993, p. 13).

     En la matière, bien que l’anthropologue soit familier avec l’art et la société concernée, la sienne, son approche doit être la même qu’avec une culture non familière. Annoncer la venue des artistes, l’ouverture de l’ « artisterie », observer mise en place et relationnels avec l’artiste dans ce nouveau contexte, sont les principales participations attendues de l’Anthropologue dont il rendra compte à terme. Les questions évoquées ci-dessus seront sous-jacentes sans pour autant être nécessairement formalisées comme telles. L’approche se fait dans la rencontre, aussi furtive soit-elle, plus que dans des « entretiens », une question, un mot : mise en circulation de l’information. Il n’est pas question de faire ici du scientisme ni de l’information forcée, des annonces plus que des questions, pas de questionnaires écrits, de l’échange oral, enregistré autant que faire se peut. Pas de photos des personnes mais, en revanche, une couverture photo via smartphone des lieux, là où se feront, se font et se seront faites les actions de l’ « artisterie ».

     Le rendu de ces échanges, au fil de rencontres concentrées avant l’arrivée de l’artiste pour aussi bien prévenir de son arrivée qu’entendre les réactions des résidents à l’idée d’une « artisterie » dans le quartier, se feront sous une forme dynamique en collaboration avec les autres participants du projet, d’une façon non académique qui reste à définir. Un rendu plus général, qui couvrirait l’ensemble des résidences pourra être envisagé qui reste à décider et à déterminer.

     Dans le fond comme dans la forme, le projet « Résidents/Résidences » questionne directement et concrètement la place de l’art dans la société, plus particulièrement dans la cité. Ici l’anthropologie a, elle aussi, pleinement sa place en tant que liant entre les deux principaux protagonistes investis : les artistes et les résidents, sans la participation desquels il n’y aurait ni dynamique sociale, ni dynamique culturelle."

Pascale Binant