Qui a habité dès 1968 au 15ème étage de la Tour 3 de la cité Palmer et a fait la classe à ses petits voisins ? Qui a tutoyé toute une vie le gotha du jazz international ? Qui a organisé l’exposition Jacques Rivière à Cenon ? ...
Qui ? Eux : les Lafont. Un couple discret et célèbre ici...


Francette Lafont - HLM

Rencontre avec Madame Francette Lafont, 90 ans, regard clair, rire cristallin qui nous livre, avec sa grande liberté de ton, des tranches de sa vie avec Pierre dit «Pédro».

Palmer années 70 & 80 :
Portes ouvertes aux voisins de la tour...

Il faut les imaginer en train de camper au 15ème étage de la tour Palmer n°3 (démolie en 1988). C’était mai 68. Ni gaz, ni électricité (les grèves), pas d’ascenseur, la tour encore vide. «Je m’en souviendrai longtemps de cette arrivée, ça a été assez drôle ! Mais de là-haut, nous avions une vue exceptionnelle sur la Garonne, nous voyions arriver les bateaux !».
Les premiers locataires quittaient des appartements insalubres à Bordeaux. Des familles françaises, quelques- unes d’origine portugaise ou espagnole. Au Musée d’Aquitaine où Mme Lafont travaillait, on lui disait : «Mais, comment peux-tu habiter à Palmer ? On s’attendait à me voir avec un couteau entre les omoplates ! C’est fou, ça, pour eux, la tour, c’était pire que tout !». Elle éclate de rire : «Moi, je m’y plaisais beaucoup !».

Plus tard, quand les familles d’origine maghrébine sont arrivées, les Lafont sont restés, quand d’autres partaient : «J’ai trouvé ces nouveaux voisins très agréables ; eux, ils avaient le sens du contact. Le bien que vous leur faisiez, ils vous le rendaient au centuple !». Un quotidien de solidarité, d’entraide naturelle, de goût des autres.

Ilham, Malika, Nabil,... les autres... Kodjo Affanou futur footballeur des Girondins découvert par Pédro... «Ces petits, je m’y suis attachée, ce sont eux les premiers qui m’ont appelée mamie, je suis devenue la mamie de tout le quartier».

Francette fait faire les devoirs aux enfants de la tour, puis à ceux des immeubles en face. «Quand les enfants ne travaillaient pas, on leur disait : Va chez Lafont, c’était devenu le cours complémentaire !». La cabine téléphonique, c’était aussi chez Lafont. «Un monsieur nous téléphonait, le soir, des portes du désert en Algérie. Pédro enfilait un peignoir et il allait chercher sa fille qui habitait dans l’autre immeuble !».


La cit Palmer


... Et aux musiciens de jazz !

Passionné de jazz depuis sa rencontre avec des soldats Noirs américains pendant la seconde guerre mondiale, Pédro Lafont postule en 1966 pour organiser

le 1er festival de jazz de Saint-Sébastien* (il était alors président du Hot Club de Bayonne). Il l’anime pendant plus de 10 ans. À Palmer, l’appartement de la famille Lafont sert souvent de refuge aux musiciens. L’immense batteur de Count Basie, Joe Jones y a vécu un Noël mémorable ! Pédro négocie les cachets, remue ciel et terre pour faire venir les meilleurs, sans jamais rien recevoir en échange si ce n’est l’amitié personnelle de ces fantastiques musiciens : Lionel Hampton, Ella Fitzgerald... et les applaudissements de toute la profession au Carnegie Hall de New York !!! Il organisera aussi des concerts à Cenon avec Patrice Claverie, alors directeur de la culture.


Jacques Rivière et le retour à Cenon

Mais savez-vous que c’est à Mme Lafont que l’on doit le nom de Jacques Rivière que porte aujourd’hui la Médiathèque de Cenon ? C’est elle qui, en 1992, a plaidé pour ce choix et a proposé d’organiser une exposition à Cenon consacrée au grand homme de lettres : «Espace d’une vie à Cenon, itinéraire d’un écrivain». Elle a convaincu la famille Rivière, le Musée d’Aquitaine et le Bibliothèque de Bordeaux de prêter des documents et de sacrées plumes (Jean Lacouture, Michel Suffran) de s’y associer.

«J’ai toujours beaucoup aimé Cenon», confie Francette. Après une retraite à Saint Jean de Luz et après le décès de son mari en 2012, elle est revenue s’installer à Palmer ! A quelques mètres de l’emplacement de la tour 3, Francette y a retrouvé des amis et ses «petits-enfants de la cité» devenus grands.


Pedro Lafont


Note

Cet article a été publié dans le magazine municipal de Cenon, Tempo n°31, janvier - avril 2016. (DR.)

Texte : Françoise Schanbroeck

Vidéo : réalisation Moussa Diop